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Voici un texte tiré d'un projet de cédérom sur des artistes "récupérateurs", c'est-à-dire basant leur travail sur des objets récupérés qu'ils "reconstruisent". N'hésitez pas à me transmettre vos commentaires...
Il ne s'agit pas pour ces artistes "reconstructeurs" de se servir d'un objet parmi les éléments habituels constituants une oeuvre, mais bien de produire cette oeuvre uniquement à partir de l'assemblage d'objets. L'oeuvre est conçue directement à partir des objets préexistants. La démarche est de prendre l'objet, mais sans son usage d'objet, pour son volume, sa matière, sa couleur. Ce n'est pas un collage ou une citation, l'objet est utilisé pour aboutir à une représentation autre, pour aboutir à une forme autre. Il ne s'agit pas, non plus, de recyclage. En ce sens, si les objets utilisés ne perdent pas leurs formes ou leurs aspects d'origine, leur valeur d'usage disparait (même si peut en rester l'idée qui surnage, celle-ci n'est plus qu'évoquée, reste à l'état d'idée) et, dans cette réutilisation, l'objet n'en acquiert pas de nouvelle (l'objet ne sert à rien). Mais il acquiert bien cette valeur singulière de l'objet esthétique dont le sens n'existe que par et dans une culture. Il y a donc non pas recyclage, mais transformation, détournement de l'objet qui permet d'opérer une transmutation, une "reconstruction".
Les artistes concernés contredisent la course au modernisme, mais pas de manière réactionnaire. Par glissement de sens, "mutation de rôle" (Breton). En finesse. On part d'objets tout-venant, et on arrive à d'authentiques oeuvres d'art qui s'insèrent dans l'histoire de leur siècle. Reconstruire, c'est donc gérer un héritage. Paraphrasant Maurice Blanchot pour qui la peinture s'édifie sur ses ruines, on peut dire que l'art de la "récup" s'édifie sur les ruines des autres. A l'époque où la profusion impose le recyclage (on prend les mêmes et on recommence), la reconstruction ramène l'objet à son essence littérale, révélant par là-même qu'il n'est que discours de l'activité humaine. Ainsi, les reconstructeurs font-ils davantage dans la figuration que dans l'abstraction, témoignage de leur désir de re-création - d'essence politique et métaphysique. Leurs oeuvres confinent alors à l'emblème totemique de leur société.
Récupérer, c'est aussi donner au matériau une deuxième chance contre la disparition et la banalisation de la grande série industrielle. On cherche à refaire le monde plus beau, en tous cas plus franc (ce qui amène aussi à en dénoncer l'horreur). L'oeuvre, débarrassant les objets de leur gangue première, révèle alors à l'observateur des vérités, parce qu'elle le dépouille de ses défenses acquises. L'objet se met enfin à nous parler. Le pré-existant contient tout, mais ne dit rien. Il est objet, pas sujet. Déconstruit, il peut redevenir l'objet de notre attention.
Reconstruit, il pourra nous dire l'homme. L'homme sans marchandise. Nu. Offert à notre regard neuf. Entre surréalisme et art brut, les reconstructeurs nous parlent de nous, aujourd'hui. De nous, vraiment.
FolFer